Publication: Donner à voir, donner à lire

Mémoire et communication dans la Rome ancienne
Mireille Corbier

Inscriptions et « grafitti » sur pierre ou sur bronze, sur mosaïques, sur enduits peints, sur les objets utilisés au quotidien, et même textes écrits sur des tableaux de bois ou des feuilles de papyrus pour un afichage temporaire : la société romaine a fait un large usage de ces messages écrits exposés au regard. Dans un monde où l’importance accordée à l’art oratoire désigne la place de premier plan occupée par l’oral, ces messages rappellent l’existence et dessinent les contours d’un champ spécifique de la “ communication ” écrite, envisagée dans ses diverses dimensions : information, rituels, autocélébration, construction de la mémoire, pratiques administratives, usages ludiques et contestataires. Les écritures commémoratives à la gloire du pouvoir et des élites et les textes oficiels portés à la connaissance effective ou potentielle des citoyens ou des administrés ouvrent la voie à une promenade dans Rome, pour identifier les espaces et les monuments qui servaient de repères aux habitants de la Ville dans leur quadrillage mental de la cité et ont accueilli à ce titre des documents affichés. Selon les cas, les destinataires des messages pouvaient être un vaste public urbain, ou même extra-urbain (bergers d’Italie ou tribus maures), ou un cercle restreint de personnes habitant ou fréquentant une maison privée. L’écrit est souvent associé à l’image : ainsi dans les mosaïques. La mosaïque de Smirat, qui illustre la couverture, commémore une chasse au léopard offerte par un notable à ses concitoyens. Elle reproduit même les acclamations du public – la bande vidéo de la scène ! La réception des messages pose le problème de la capacité des destinataires à les lire. Leur nombre et leur omniprésence suggèrent une large diffusion de la culture graphique, qui déborde le domaine de l’écriture officielle. Même une personne qui maîtrise mal l’écriture peut devenir un producteur d’écrit : pour s’approprier un objet, pour témoigner de sa dévotion ou, simplement, de sa présence en un lieu. Ces écrits – ou, du moins, une part d’entre eux – nous sont restés et nous parlent aujourd’hui de leurs auteurs et de leurs lecteurs.

Mireille CORBIER, directeur de recherche au CNRS, directrice de L’Année épigraphique, étudie, au contact de l’histoire et de l’anthropologie, différents aspects du monde romain : l’État, la monnaie, la fiscalité, l’économie, le don (Cambridge Ancient History, XII ; Der Neue Pauly ; Dictionnaire de l’Antiquité, PUF) ; la famille et la parenté (Adoption et fosterage, De Boccard) ; le statut de l’écrit (« literacy », bilinguisme, texte et image) ; l’alimentation et les relations liées à la « nourriture » (Histoire de l’alimentation, Fayard).

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